Histoire

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La détention des femmes à Vincennes à travers les siècles

Graffiti "Joséphine"

Au XVIIIe siècle, le donjon de Vincennes n’épargnait personne, hommes comme femmes. Remontons le temps à la découverte des détenues féminines qu’il a abritées !

Le Donjon : un gouffre de l'oubli

Il suffit de lire Malesherbes ou Mirabeau pour comprendre l’impression que dégageait le donjon de Vincennes dans les dernières années du XVIIIe siècle :    « gouffre de l’oubli » pour le premier ou encore « maison du silence » pour le futur tribun révolutionnaire qui y fut enfermé de 1777 à 1780. 

Sombres descriptions pour cette ancienne forteresse royale devenue prison d’État au milieu du XVe siècle ! C’est à partir des années 1470 que remontent les premières traces écrites d’emprisonnement dans le donjon. S’il reste un lieu de détention jusqu’au milieu du XIXe siècle, ce dernier est pendant cinq siècles le grand témoin des changements de la société et des relations parfois complexes entre le pouvoir politique et le monde judiciaire.

Mirabeau sur la terrasse du château de Vincennes
Mirabeau sur la terrasse du château de Vincennes

Libre de droit

Le Donjon-prison, une histoire qui se raconte aussi au féminin

Les premières prisonnières de Vincennes

Il n’existe malheureusement aucune étude sociologique précise sur les prisonniers du donjon, et notamment sur les femmes détenues car il n’y a pas de liste exhaustive des incarcérations. N’oublions pas que sous l’Ancien Régime, la peine d’enfermement en elle-même n’existe pas ! Il faut attendre 1791 pour la mise en place de condamnations privatives de liberté. Autre élément essentiel : un grand nombre des incarcérations se font surtout par le biais des lettres de cachets qui sont très laconiques sur le motif et la durée de la détention. 

Si, à la fin de l’Ancien Régime, les femmes représentent le tiers de la population carcérale dans le royaume, il est difficile de dire combien sont passées par Vincennes car les motifs d’enfermement sont très variables ! On peut néanmoins répartir la population carcérale de Vincennes entre prisonnières politique, d’opinion et prisonnières de droit commun . Les premières femmes à être emprisonnées à Vincennes sont toutes des prisonnières politiques ! Elles doivent leur incarcération aux risques qu’elles font peser sur la couronne à travers leurs intrigues dans les structures de l’État. C’est le cas pour Françoise d’Amboise en 1556, Charlotte de Montmorency en 1617 (épouse de Henri II de Condé, lui aussi incarcéré à Vincennes), Marie de Gonzague et la duchesse de Longueville en 1629. Leur détention dure de quelques semaines à plusieurs années leur permettant, comme pour Charlotte de Montmorency, d’y avoir quatre enfants ! 

Portrait de Charlotte de Montmorency
Portrait de Charlotte de Montmorency par Peter Paul Rubens, 1610

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1680 : les femmes de toute extraction sont écrouées

Avec le règne de Louis XIV, le rang social des prisonnières évolue. L’affaire des poisons avec son lot de devineresses, d’empoisonneuses, de faiseuses d’anges remplit les geôles du donjon. Sur les 168 prisonniers incarcérés durant cette décennie, près d’une centaine, de toute extraction, sont des femmes ! Une vingtaine d’entre elles dont la Voisin est condamnée à mort. Les autres sont libérées, blâmées, mises à l’amende ou bannies du royaume.

Au-delà des années 1690 et jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, Vincennes reçoit de nombreuses détenues liées à des affaires religieuses cette fois-ci. Protestantes, jansénistes, quiétistes (comme madame Guyon et plusieurs de ses servantes en 1695), ou encore liées à l’affaire des convulsionnaires en 1730. Elles sont emprisonnées dans des conditions difficiles, les amenant parfois au suicide !

La Voisin, la sorcière au cœur de l’affaire des poisons
Portrait de La Voisin

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Le pavillon du roi : de résidence royale à maison de réclusion pour femmes

L'année 1784 marque cependant un tournant puisque le donjon de Vincennes cesse d’être une prison. Seule la Bastille et les autres prisons parisiennes demeurent des lieux de détention pour les femmes. Pourtant, Vincennes n’en a pas fini avec son destin carcéral ! Si le donjon échappe jusqu’à l’Empire à toute nouvelle incarcération, qui seront toutes masculines, le pavillon du Roi est transformé en 1793 en maison de réclusion pour femmes de mauvaise vie. Près de 598 femmes, la plupart condamnées pour vol, sont enfermées dans les anciens appartements de Louis XIV, qui avaient alors pratiquement disparu depuis plusieurs décennies. Cet épisode douloureux se termine en 1794 et met enfin un terme au chapitre des femmes détenues à Vincennes.

Pavillon du roi
Pavillon du roi

© Alexandre Touitou