Environnement

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La symbolique des oiseaux dans le décor sculpté

Détails de la voussure centrale de la Sainte-Chapelle

À la lisière du bois, le château de Vincennes est un écrin pour la vie sauvage. Découvrez la faune vivant dans le monument et illustrée dans son décor sculpté !

Les oiseaux à Vincennes : un héritage du Moyen Âge

Dès le règne de Louis VII à la fin du XIIe siècle est attestée la présence d’une résidence royale à Vincennes. Cependant, Louis VII et son successeur, Philippe Auguste, y résident peu. Vincennes reste d’abord un lieu de chasse royale en raison de sa proximité avec la forêt. Des espaces clos ou breuils sont aménagés : sur une surface comprise entre 700 et 1 000 hectares fermée par des murs est creusé un lac artificiel permettant aux animaux de boire. C'est l’actuel lac de Saint-Mandé

Ce parc accueille un gibier qui est capturé dans les alentours puis relâché pour une chasse mise en scène à l’occasion d’un événement particulier à la cour royale. 

La chasse a une fonction utilitaire : se nourrir, se vêtir et protéger les récoltes et le bétail contre les prédateurs. Mais, au Moyen Âge, elle est riche de significations et reflète les structures et les modes de pensée de la société médiévale. Les paysans pratiquent la chasse à l'aide de pièges (collets, filets, fosses ou enceintes). Les nobles méprisent cette « chasse de coquins » qui n'affronte pas directement les bêtes sauvages. Eux pratiquent la chasse à l'arc ou la chasse à courre et la chasse au vol – au moyen d'oiseaux de proie dressés. La fauconnerie se développe alors largement en Europe et tend à devenir un privilège noble voire royal. Sous Charles VI est créée la charge de grand fauconnier de France qui subsiste jusqu’à la Révolution ! 

Paris et l’est parisien dans la deuxième moitié du XIVème siècle
Paris et l’est parisien dans la deuxième moitié du XIVème siècle, J.C. Golvin, CNRS

© CNRS

Le faucon, demeure encore aujourd’hui un symbole d’action et de noblesse. À Vincennes, les faucons crécerelles qui survolent de nos jours le château sont les lointains héritiers de ces traditions ancestrales. Leur présence est attestée à Paris et dans sa région depuis 1840. C’est un rapace de petite taille au plumage roux/brun dont la longue queue et le vol sont caractéristiques. Cet oiseau se plait tout particulièrement à Vincennes car le bois est son territoire de chasse favori, où les petits mammifères comme les campagnols sont très nombreux. Vincennes est, par ailleurs, un site de choix car si le faucon ne construit pas de nid, il adore par contre nicher dans les parties élevées du donjon et de la sainte chapelle, en particulier dans les ouvertures et les cavités !

Faucon crécerelle au-dessus d'une console
Faucon crécerelle au-dessus d'une console

© Sylvain Gaio / Château de Vincennes

Les oiseaux dans le décor sculpté du château de Vincennes

Dans la pensée médiévale, les oiseaux possèdent une forte charge symbolique : leur vol en fait les intermédiaires privilégiés entre monde terrestre et domaine céleste.

Des livres leur sont ainsi consacrés, les aviaires. Le plus célèbre est le De avibus, rédigé dans le second tiers du XIIe siècle, dans lequel Hugues de Fouilloy codifie la signification des oiseaux présentés dans la Bible afin d’instruire les moines de son abbaye : la colombe symbolise le moine et la vie spirituelle, le faucon, le noble et le pouvoir temporel. Charles VI était ainsi surnommé "le faucon blanc au bec et aux pattes dorés". Mais les oiseaux sont aussi chassés et mangés. L’histoire et l’ornementation du château de Vincennes donnent ainsi à comprendre le rapport ambivalent de la société médiévale aux oiseaux.

Le donjon : du rez-de-chaussée au deuxième étage

Au rez-de-chaussée du donjon, deux clefs de voûte représentent un dragon et un cerf en train de boire. Le dragon, animal hybride, reptile ailé comme les oiseaux, est un animal à la fois terrestre, souterrain et céleste, et symbolise les forces du mal que les Saints et martyrs combattent. Au contraire, le cerf à qui on attribue le pouvoir de manger les serpents depuis l’Antiquité, devient au Moyen Âge l’allégorie du Christ, le bien, capable de détruire le mal. Ces clefs de voûte représentent ensemble la mise en scène du combat du bien contre le mal. Cette scène s’adressait peut-être aux domestiques qui travaillaient à cet étage.

Prenons à présent le cas de la Salle du Conseil au premier niveau de la tour ! Cette pièce est le cœur de la vie politique : le roi y donne réceptions officielles et grands banquets ou y travaille avec ses conseillers. 

Le décor sculpté, notamment le tétramorphe, se répète sur l’ensemble des trois étages, depuis le rez-de-chaussée : les quatre Évangélistes sont symbolisés par un homme (Matthieu), un lion (Marc), un taureau (Luc) et un aigle (Jean). Chaque symbole reflète un attribut du Christ : l'homme pour son incarnation, le lion pour sa royauté, le taureau pour son rôle de sacrificateur, et l'aigle pour son esprit divin. Tous sont dotés d’ailes car ils sont des intercesseurs de l’esprit divin, comme les saints ou les anges à l’image des oiseaux qui s’envolent vers le ciel.

Dans les quatre salles centrales de la tour, le style des sculptures correspond encore à la première moitié du XIVe siècle. Dans la salle d’étude de Charles V, au deuxième étage, les quatre consoles et la clef de voûte sont remarquables par la qualité de l’exécution. Le roi lisait et travaillait dans ce cabinet d’étude pour lequel il a fait modifier l’architecture du donjon afin d’avoir une ouverture à l’ouest et profiter de la lumière jusqu’au soleil couchant.

Salle du conseil, premier étage du donjon
Salle du conseil, premier étage du donjon

© Centre des monuments nationaux

La Sainte-Chapelle

En 1379, Charles V décide de construire une sainte chapelle dans l'enceinte du château de Vincennes afin de recueillir des reliques de la passion du Christ. Mais sa mort en 1380 retarde le chantier qui ne commence qu’en 1390 sur ordre de son fils, Charles VI. Le chantier s’interrompt vers 1405 et ne sera achevé que par François Ier puis Henri II au XVIe siècle.

Le décor sculpté intérieur et extérieur a été surtout réalisé à la fin du XIVe siècle.  Alors que dans le donjon, lieu du pouvoir politique, les symboles religieux s’impose, dans la Sainte-Chapelle, la multiplication des symboles monarchiques affirme la sacralisation du pouvoir royal. Le décor sculpté de la voussure centrale souligne les préoccupations religieuses du début de Charles VI. Il s’inspire en effet de l’œuvre de Denys l’Aréopagite, La hiérarchie céleste. La symbolique des ailes une fois de plus rappelle la fonction d’intercesseur entre les hommes et le sacré attribuée aux oiseaux. Les neufs chœurs d’anges (séraphins, chérubins, dominations, vertus, puissances, principautés, archanges et anges) s’échelonnent du plus bas, l’Homme, au plus haut, Dieu. Au sommet, on reconnaît la trinité. 

À l’intérieur, on retrouve les deux attributs des oiseaux dans les représentations des anges : les ailes (le lien avec le ciel et Dieu) et la musique ou le chant (la parole divine) à travers les sculptures mais aussi les vitraux représentant l’Apocalypse.

Voûte céleste de la Sainte-Chapelle
Voûte céleste de la Sainte-Chapelle

© Centre des monuments nationaux